Cliquez ici pour consulter la documentation la plus récente.
Le 23 mai 2022, au Japon, le président américain a annoncé que les États-Unis interviendraient pour protéger Taïwan. Pour certains observateurs, la déclaration du dirigeant américain était choquante, car il semblait que les États-Unis avaient abandonné la politique d'ambiguïté stratégique entretenue depuis un demi-siècle, qui permettait de protéger le statu quo des deux côtés de l'accord taïwanais. Détroit. Quelle est la vérité ?
La politique américaine d'ambiguïté stratégique est liée au respect du principe '' Une Chine '', et ne prétend pas défendre directement Taipei, si Pékin attaque l'île. De son côté, la Chine considère Taïwan comme un territoire renégat et insiste de plus en plus sur le fait qu'elle n'exclut pas le recours à la force pour récupérer l'île.
La déclaration du président Joe Biden pour protéger Taïwan va-t-elle à l'encontre de la politique traditionnelle « d'ambiguïté stratégique » des États-Unis ? (*) RFI souhaite vous présenter des extraits de l'interview du Professeur Jean-Pierre Cabestan (**), du site Asialyst (***). Selon le scientifique chinois, Hong Kong Baptist University:
- d'une part, les États-Unis ont tendance à abandonner une partie de la politique de l'ambiguïté stratégique, dans le contexte de menaces croissantes de la Chine, mais actuellement, ce n'est pas clair comment les États-Unis interviendront pour protéger l'île,
- d'autre part, une déclaration officielle pour protéger Taïwan peut rendre les États-Unis passifs devant le scénario d'une déclaration unilatérale d'indépendance de Taïwan. Pour l'expert Jean-Pierre Cabestan, l'attitude de la Chine envers Taïwan doit également être considérée à la lumière de sa relation étroite avec l'invasion russe de l'Ukraine.
À la lumière des conséquences pour la Russie de la guerre menée en Ukraine depuis le 24 février, le régime de Xi Jinping va-t-il en tirer les enseignements pour Taïwan ?
Oui bien sûr, il en tirera tous les enseignements qui lui semble utiles. Je crois que le gouvernement chinois observe de très près le conflit en Ukraine. Il essaie de voir si l’invasion de l’Ukraine par la Russie présente pour la Chine de nouvelles opportunités concernant Taïwan ou, au contraire, si ce conflit éloigne la perspective d’un règlement, y compris par des moyens militaires, de la question taïwanaise.
Et selon ce que vous savez, cela penche-t-il plutôt d’un côté ou de l’autre ?
Je pense que la guerre en Ukraine conduit Xi Jinping et le gouvernement chinois à réfléchir à deux fois avant de se lancer dans une aventure militaire contre Taïwan. Maintenant, il existe des arguments qui vont dans les deux sens. Le premier argument en faveur d’une invasion évidemment, c’est l’évolution très préoccupante du rapport des forces entre la Chine et Taïwan. Taïwan a des moyens limités pour contrecarrer où résister à une invasion militaire de la Chine. La Chine peut très bien tenter de passer à l’action et d’annexer Taïwan par des moyens militaires, même si le coût de cette invasion s’avère très élevé. Si c’est le cas, Taïwan devra céder et sera contraint, même avant la fin du conflit, d’accepter une forme de règlement politique qui sera évidemment très favorable à Pékin. Le premier argument, c’est l’évolution du rapport des forces militaires qui est cependant beaucoup plus asymétrique que le rapport des forces militaires entre l’armée russe et l’armée ukrainienne, et donc la plus grande faiblesse de l’esprit de défense des Taïwanais par rapport aux Ukrainiens.
L’équilibre des forces militaires en présence avec les Américains et aussi les Japonais ne penche-t-il pas très en faveur de Taïwan ?
Oui, certes. Néanmoins, la réaction américaine à l’agression russe en Ukraine peut inciter les Taïwanais à conclure qu’en cas d’attaque chinoise, les Américains opteront pour un soutien militaire et financier à Taïwan, incluant d’importantes livraisons d’armements pour défendre leur territoire, mais pas d’engagement militaire direct. De même que dans le cas de l’Ukraine, il n’existe pas d’alliance formelle entre les États-Unis et Taïwan. Il y a bien le Taiwan Relation Act par lequel les États-Unis promettent de fournir à Taïwan des armes défensives et de considérer toute atteinte à la stabilité dans le détroit de Taïwan comme un « grave sujet de préoccupation » pour les États-Unis. Mais cette loi ne contraint pas les États-Unis à s’engager dans un conflit direct avec la Chine en cas d’attaque de Taïwan. C’est ce que l’on appelle l’ambigüité stratégique des États-Unis qui reste la position officielle du gouvernement américain. Évidemment, on peut discuter de la signification de cette ambigüité stratégique alors que Washington s’oriente à l’évidence depuis plusieurs années vers une plus grande clarté stratégique. Cette ambiguïté a été en partie levée par un certain nombre de déclarations faites par le président Joe Biden, par les chefs militaires américains. Ces déclarations accréditent l’idée d’une intervention militaire américaine en cas d’agression non provoquée de Taïwan par la Chine. Mais, quelle forme prendra cet engagement ? Nul ne le sait. Et il n’en demeure pas moins que les États-Unis restent très réticents à lever complètement cette ambiguïté stratégique, qui les protège aussi contre toute déclaration unilatérale d’indépendance de Taïwan.
En conséquence, si les Taïwanais doivent se battre seuls contre l’Armée populaire de libération, seulement soutenus sur le plan logistique par les États-Unis et même par le Japon, ils seraient immanquablement dans une position de très grande vulnérabilité. Un autre argument qui est assez inquiétant est le fait que, comme on le sait, nombreux étaient ceux qui refusaient de croire à une invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine. Or il a pris cette décision, de manière très verticale, sans que personne ne vienne sur son chemin. Xi Jinping, aujourd’hui a quant à lui accumulé tellement de pouvoirs que l’on peut se demander s’il n’est pas dans la même situation. Gonflé par un nationalisme que l’on sait incandescent et soucieux de régler la question taïwanaise avant la génération suivante, Xi pourrait être aussi tenté de passer à l’acte et ceci dans des délais assez brefs. On constate bien qu’il y a un empressement du côté chinois et que l’avenir de la Chine, sa montée en puissance, sa renaissance nationale et internationale sont liés à l’unification complète de la patrie et par conséquent à l’annexion complète de Taïwan.
Alors à votre avis, de quel côté la balance penche-t-elle ?
Je pense que la guerre en Ukraine fera réfléchir Xi Jinping et le gouvernement chinois à deux fois avant de décider d'attaquer Taiwan. Actuellement, de nombreux arguments penchent des deux côtés. Le premier argument de fond en faveur d'une attaque contre Taïwan concerne bien sûr l'évolution très inquiétante des rapports de force entre la Chine et Taïwan. Taïwan ne dispose actuellement que de moyens limités pour dissuader ou contrer une intervention militaire chinoise. La Chine passera très probablement à l'action, annexant Taïwan par des moyens militaires, même si le coût est très élevé. Si tel était le cas, Taïwan devrait concéder, voire accepter - avant la fin du conflit - un règlement politique qui profiterait évidemment à Pékin. En termes de rapport de forces, la balance penche en faveur de la Chine. tandis que la relation entre les forces ukrainiennes et russes est beaucoup moins défavorable pour la partie ukrainienne. Comparé aux Ukrainiens, l'esprit de résistance des Taïwanais est également plus faible.
S’il devait perdre cette guerre, serait-ce la fin du Parti communiste chinois ainsi que de Xi Jinping ?
Je n’en suis pas sûr. Je sais bien que certains pensent qu’une défaite militaire chinoise présenterait un risque pour le Parti communiste et sa survie. Or c’est loin d’être certain. Vu la fébrilité extrême du nationalisme en Chine, je suis d’avis que le Parti communiste parviendra à sortir grandi de l’épreuve quelle que soit son issue et donc même s’il devait y avoir un échec partiel ou complet. Car en cas d’échec, quelle force politique est présente en Chine pour menacer le Parti communiste ? On réalise bien que Poutine a su parfaitement recadrer le conflit qu’il a engagé, et en particulier ses objectifs, après que les choses eurent évoluées de manière différente de ses plans initiaux. Si une guerre éclair contre Taïwan devait mal tourner, Xi Jinping peut très bien rendre publics de nouveaux objectifs et dire qu’il a gagné. Et que de toute façon Taïwan finira par céder d’une manière ou d’une autre, ou a minima, fera des concessions. Je ne pense pas que le Parti communiste et le système politique chinois soient menacés directement par un conflit militaire avec Taïwan qui se solderait par un échec. Il n’y a pas d’alternative au PCC en Chine populaire aujourd’hui. Cela ne veut pas dire qu’un échec ne provoquerait pas de divisions au sein du Parti. On peut penser que ces divisions conduiront à l’adoption d’une politique de réunification plus modérée, renouant avec la « stratégie de développement pacifique » des relations à travers le détroit prônée par Hu Jintao, par exemple. Mais je pense que même si parmi les élites, de telles divisions il y a, celle-ci ne sont pas de nature à conduire à un changement de régime.
N’existe-t-il aucun débat dans les sphères dirigeantes à Pékin sur l’opportunité d’une attaque contre Taïwan ?
Je resterai prudent car il existe probablement des responsables du Parti qui sont beaucoup moins chauds, dont les réformistes tels que le Premier ministre Li Keqiang ou le vice-Premier ministre chargé de l’économie Liu He. Même parmi les chefs militaires de l’APL qui seraient les premiers concernés par une telle aventure. Ils doivent être un peu inquiets tout de même de savoir s’ils peuvent atteindre les objectifs militaires que le Parti leur aura assignés, s’ils ont les moyens de les atteindre ou s’il ne vaudrait pas mieux, au contraire, continuer à utiliser ces zones grises entre la guerre et la paix pour créer de plus en plus une zone d’insécurité autour de Taïwan, d’entamer petit à petit le moral des Taïwanais et les obliger à faire des concessions, notamment l’acceptation du principe de la Chine unique dans un premier temps du moins. Une autre question est de savoir si Xi Jinping possède en réalité autant de pouvoir personnel que Poutine. Je n’en suis pas sûr non plus. Evidemment, il a concentré énormément de pouvoir entre ses mains. Néanmoins pour une décision comme celle-ci, une attaque contre Taïwan, il ne peut pas la prendre seul. Comme on le sait, le PCC est constitué d’un ensemble de structures, le Comité permanent du Bureau politique (7 membres), le Bureau politique (25 membres), la Commission militaire centrale (7 membres). Est-ce qu’il peut prendre cette décision seul si une majorité des membres de ces instances sont réservés ? C’est la question que je me pose. Bien sûr, le Comité central (plus de 200 membres) est en dehors du coup. Une telle décision ne concernerait que ces trois instances. Mais je pense que Xi Jinping serait obligé d’obtenir leur aval formel.
La perspectives de sanctions économiques occidentales contre la Chine pourrait-elle la dissuader d’agir à Taïwan ?
À mon sens, le verre est à la fois à moitié plein et à moitié vide. Difficile aux pays proches de Taïwan de ne pas en prendre. Or de telles sanctions peuvent malgré tout faire très mal à l’économie chinoise à un moment où celle-ci ralentit, alors qu’il y a des tentatives de découplage qui ne sont pas dans l’intérêt de la Chine.
Que dire de la préparation militaire de Taïwan à une invasion chinoise ?
Non seulement Taïwan est bien armé, mais que les forces taïwanaises sont en train d’améliorer leurs capacités de défense en s’orientant vers une restauration d’un service militaire long, en améliorant la préparation des forces de réserve, en se dotant d’armement beaucoup plus offensifs et aussi en renforçant leur politique et leur stratégie dite du « porc-épic ». Celle-ci consiste à consolider d’une manière générale la protection des installations sensibles et la capacité de dissuasion conventionnelle face à la Chine.
Le rapport de forces avec l'armée taïwanaise, avec le soutien des États-Unis et du Japon, n'est-il pas non plus vraiment en faveur de Taïwan ?
Oui, c'est certain. Bien sûr, la réponse des États-Unis à l'attaque de la Russie contre l'Ukraine pourrait amener Taïwan à conclure qu'en cas d'attaque de la Chine, les États-Unis choisiront de fournir un soutien militaire financier à Taïwan, y compris la possibilité d'un approvisionnement accru en armes défensives, mais pas une intervention militaire directe. Comme pour l'Ukraine, il n'y a pas d'alliance formelle entre les États-Unis et Taïwan. Il existe une loi sur le Taiwan Relation Act, par laquelle Washington s'engage à soutenir Taipei avec des armes défensives et considère toute violation de la stabilité dans le détroit de Taiwan comme un '' sujet préoccupant '', en particulier 'avec l'Amérique. Cependant, la loi n'oblige pas les États-Unis à intervenir dans un conflit direct avec la Chine, si Pékin décide d'attaquer. C'est ce qu'ils appellent la " politique l'ambiguïté stratégique '' des Etats-Unis, qui reste la position officielle de Washington. Bien sûr, on peut discuter de cette ambiguïté stratégique des États-Unis, alors que Washington s'oriente depuis de nombreuses années de plus en plus vers plus de clarté stratégique. Cette « ambiguïté » a été en partie levée, par le président Joe Biden, par les chefs militaires américains. Ces déclarations confirment le plan d'intervention militaire américain dans le cas où la Chine attaquerait Taïwan, l'attaque n'est pas provoquée par la partie taïwanaise. Cependant, comment les États-Unis rempliront-ils l'engagement ci-dessus? Ce n'est pas clair pour le moment. Et un point important que les USA sont encore très réticents à supprimer complètement la politique de l'ambiguïté stratégique. Cette politique permet de protéger les États-Unis contre toute déclaration unilatérale d'indépendance de Taïwan.
Ainsi, si Taïwan devait lutter seul contre l'Armée populaire de libération de Chine, avec seulement le soutien logistique des États-Unis et du Japon, Taïwan se trouverait clairement dans une position très vulnérable. Un autre argument tout aussi inquiétant est que, comme nous le savons, beaucoup ont rejeté la possibilité que le gouvernement Poutine attaque l'Ukraine. Eh bien, il a pris une telle décision, directement du haut, sans passer par personne. De son côté, Xi Jinping concentre désormais aussi tellement de pouvoir entre ses mains qu'on peut se demander s'il est dans la même position pour le faire. Incité par un nationalisme que l'on sait bouillonnant et obsédé par l'objectif de résoudre le problème taïwanais même dans la génération actuelle de dirigeants, Xi Jinping peut aussi passer à l'action, et agir à la va-vite.
Il y a clairement une impatience de la part de la Chine, et l'avenir de la Chine, l'essor spectaculaire de la Chine, le '' renouveau '' national et international de la Chine sont étroitement liés à l'unification de la réunification territoriale complète, y compris l'annexion complète de Taiwan.
Pékin peut-il passer outre le risque d’un soutien américain en cas d’attaque de Taïwan?
La Chine ne peut faire abstraction de la forte possibilité d’une intervention des États-Unis, en dépit des risques de nucléarisation du conflit, d’embrasement et de déclenchement d’une troisième guerre mondiale attachés à une telle intervention. Est-ce que la Chine veut vraiment être responsable de tout cela ? Là est la grande différence avec l’Ukraine. L’Ukraine ne fait pas partie du périmètre de sécurité de l’Occident et ne fait pas partie de l’OTAN. En revanche, même si Taïwan n’est pas un allié formel des États-Unis, je vois mal comment les États-Unis peuvent abandonner Taïwan sans fragiliser de manière irréversible leurs alliances dans la zone, notamment avec le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, les Philippines et la Thaïlande. Donc c’est toute la crédibilité des États-Unis en Asie-Pacifique qui est en jeu. Si l’on prend la question différemment, pour Joe Biden est-il envisageable de laisser les Chinois l’emporter sur Taïwan ? Ce serait non seulement la fin de la Pax Americana en Asie-Pacifique mais aussi une défaite majeure du monde démocratique face au bloc autoritaire conduit par la Chine et la Russie. Ce serai là un tournant crucial avec des conséquences autrement plus profondes et durables que l’issue du conflit en Ukraine. À ces arguments, on doit ajouter enfin que l’armée chinoise n’a pas été testée depuis très longtemps. On ne sait pas comment elle se comporterait en mer et dans les airs. Car il y aurait une bataille aérienne et une bataille navale. Celui qui contrôle les airs contrôle les mers.
Comment pour la Chine à la fois garder ses distances avec la Russie sans pour autant basculer dans une soumission à l’Occident ?
On voit bien que les autorités chinoises sont en train de louvoyer. Elles s’aperçoivent qu’à être trop alliés de Moscou, elles risquent de payer le prix fort. Donc on les a vu publier une interview du ministre ukrainien des Affaires étrangères. La Chine essaient de se montrer compréhensive à l’égard de l’Ukraine et a surtout très peur pour ses entreprises. Le gouvernement chinois fait donc tout pour que ses entreprises, publiques comme privées, ne tombent pas sous le coup des sanctions américaines. Car ces entreprises pourraient très bien devenir des victimes collatérales des sanctions. La Chine se gardent donc bien de dépasser les lignes rouges imposées par Washington. Cela ne veut pas dire qu’elle a interrompu tous ses échanges économiques avec la Russie, mais à l’évidence, la Chine est extrêmement prudente. Et puis il y a aussi l’image internationale de la Chine. Pékin comprend bien qu’il est préférable d’apparaître neutre, tout en étant dans les faits très aligné sur Moscou. Car cette neutralité de façade lui apporte beaucoup de soutien dans les pays du Sud. Ces pays pensent assez largement que l’Ukraine est une affaire européenne qui ne les concerne pas ou peu. Plus largement, l’intérêt de la Chine est que ce conflit prenne fin le plus tôt possible pour que les prix des matières premières, des céréales, des produits alimentaires et du pétrole baissent à nouveau et retrouvent un niveau plus abordable pour ces pays, comme pour elle. Pour autant, il faut bien garder à l’esprit la déclaration du 4 février qui illustrait un alignement sur la Russie très clair, à la fois en ce qui concerne le régime intérieur, l’ordre mondial, la vision du monde et même l’OTAN.
Plusieurs signes semblent attester du fait que l’économie chinoise est actuellement dans une très mauvaise passe. Une croissance du PIB qui dégringole, des investisseurs occidentaux qui quitte la Chine, une démographie en berne. Comment voyez-vous tout cela ?
Tout ceci constitue autant de facteurs de faiblesse, de vulnérabilité du pouvoir chinois. Mais cette évolution est relative. Certes, l’économie va moins bien, il y a de vrais problèmes dans le secteur immobilier dus à un endettement colossal ; le secteur privé est moins favorisé qu’auparavant et le régime est inquiet pour son avenir. Une forme de découplage est en train de prendre forme, une sorte de démondialisation qui n’est pas dans l’intérêt de la Chine et à laquelle d’une certaine manière la Chine a aussi contribué avec sa politique dite de « double circulation ». Ceci explique d’ailleurs que la Chine entend réduire sa dépendance avec le monde extérieur, tout en évitant que le monde extérieur ne réduise sa dépendance à son égard. Ce qui est assez paradoxal. La démographie est aussi un problème. Le vieillissement de la population est un facteur de ralentissement économique et de vulnérabilité. Quant à la réduction des investissements occidentaux, elle constitue moins un problème pour la Chine car d’autres pays peuvent y investir. En outre, la Chine a elle aussi des ressources pour compenser cette chute des investissements directs étrangers. Le fait que les pays occidentaux aient tendance à partir n’est pas forcément une mauvaise chose aux yeux du PC. Ce qui est certain depuis 2014-2015, c’est que les investissements étrangers sont moins bien accueillis, sauf s’ils apportent des hautes technologies. Aujourd’hui, la Chine pense qu’elle n’a plus besoin de nous et qu’elle peut elle-même acquérir les technologies qui lui manquent. Elle cherchera à les acquérir par d’autres moyens, attirer les cerveaux, en achetant les cerveaux chinois ou étrangers, en volant de la technologie là où il est possible de la voler et en augmentant son autonomie scientifique et technologique à travers un investissement massif en recherche et développement. Pour l’heure, les succès chinois dans ce domaine sont inégaux. On voit bien que dans le domaine des semi-conducteurs ou des réacteurs, ils n’en sont pas encore là. Mais cette autonomisation va se poursuivre.
Comment voyez-vous le XXème congrès du PCC à l’automne ?
Je le vois se profiler derrière un épais brouillard où il reste néanmoins une figure tutélaire qui est celle de Xi Jinping. Il va se succéder à lui-même. On voit mal qui pourrait le mettre en danger. Je sais qu’il y a des critiques contre lui qui se précisent et qui s’affirment et qu’il est davantage contesté qu’il a pu l’être avant. Que la gestion de la pandémie à Shanghai, Pékin et ailleurs ne l’aide pas beaucoup. Et même clairement le dessert. Les tensions avec l’Occident sont, elles aussi, un problème, tout comme son alignement avec la Russie qui est un sujet de discussion. Plus largement, le durcissement du régime ainsi que la place plus réduite du secteur privé, tous ces sujets font débat. L’avenir à long terme du régime semble s’obscurcir quelque peu. Mais il y a là une vraie contradiction. Celle de continuer de s’appuyer sur le secteur privé comme principal moteur de la croissance et donc de laisser une plus grande autonomie aux chefs d’entreprises privées, alors que cette autonomie représente un danger politique pour le régime. Nous avons vu que Xi Jinping a réagi à ce phénomène en rappelant à l’ordre des figures importantes du secteur privé comme Jack Ma. Lors de ce XXème Congrès, Xi Jinping va probablement promouvoir certains de ses poulains mais je ne pense pas qu’il choisira un successeur. Ce serait une erreur de sa part de le faire et il va plutôt mettre en compétition un certain nombre de responsables de la sixième génération.
Considérerez-vous que le régime chinois est désormais en bout de course ?
Je ne le pense pas. Évidemment, je comprends bien la question. Il y a là une certaine paranoïa croissante du régime. La mise au pas de Hong Kong est à la fois une manifestation de sa puissance mais aussi un aveu de faiblesse, car considérer Hong Kong comme une base de subversion montre bien que ce régime n’est pas très sûr de son avenir, que la moindre critique est considérée comme une menace pour sa stabilité. Mais d’un autre côté, je vois mal là encore les forces qui pourraient déstabiliser ce régime et proposer une alternative démocratique. La structure du parti, son influence sur la société et son fonctionnement sont tels que le régime et la société de la République populaire se sont soviétisés, favorisant l’apparition d’un nouvel homo sovieticus qui aura du mal à évoluer vers autre chose. Dis autrement, il y a depuis 70 ans un tel déficit de culture démocratique qu’avant que ce régime se démocratise, il se passera encore pas mal de temps.
Propos recueillis par Pierre-Antoine Donnet - asialyst.com
Notes :
(*) Selon les observateurs, c'est la troisième fois en moins d'un an que le président américain affirme "une intervention militaire" pour protéger Taïwan. La première fois, c'était l'été dernier, dans une réponse à la chaîne de télévision australienne ABC, le 19 août 2021, le président américain a déclaré que les États-Unis ont la responsabilité de protéger leurs alliés asiatiques, comme le Japon, la Corée du Sud et Taïwan, comme avec l'OTAN. alliés, sont soumis à l'article 5 de la Charte du bloc, et c'est un ''engagement sacré''. Pour la deuxième fois, le 21 octobre, dans une conversation avec des électeurs, diffusée sur CNN, le président américain a également souligné cet engagement.
Chaque fois que le président américain s'engage à défendre Taïwan, la Maison-Blanche souligne immédiatement que la politique américaine à l'égard de Taïwan a jusqu'à présent été parfaitement cohérente, ce qui implique de poursuivre le principe "d'un seul pays". La Chine'', ne reconnaît pas l'indépendance de Taïwan, avec un engagement général de soutenir Taipei en termes de sécurité, afin de maintenir le statu quo.
(**) Jean-Pierre Cabestan est directeur de recherche au CNRS et chercheur associé à Asia Centre (Paris) et au Centre d’étude français sur la Chine contemporaine (Hong Kong). Il est depuis 2007 professeur à l’Université baptiste de Hong Kong et directeur de son département de science politique et d’études internationales. Il a été de 2003 à 2007 directeur de recherche au CNRS, rattaché à l’UMR de droit comparé de l’Université de Paris 1. Il a dirigé de 1998 à 2003 le Centre d’études français sur la Chine contemporaine situé à Hong Kong ainsi que ses publications, Perspectives chinoises et China Perspectives.
Auteur de plusieurs livres sur la Chine, il a publié son dernier ouvrage « Demain la Chine : guerre ou paix » chez Gallimard en septembre 2021.
(***) Jean-Pierre-Cabestan : "Nul ne sait quelle forme prendrait l'engagement américain pour défendre Taïwan", Asialyst, 30 mai 2022.
Sources :
Jean-Pierre-Cabestan : "Nul ne sait quelle forme prendrait l'engagement américain pour défendre Taïwan"
https://asialyst.com/fr/2022/05/28/jean-pierre-cabestan-nul-ne-sait-quelle-forme-engagement-americain-defendre-taiwan/
Chuyên gia Cabestan: ''Không rõ Mỹ sẽ bảo vệ Đài Loan’’ chống Trung Quốc bằng cách nào
https://www.rfi.fr/vi/ch%C3%A2u-%C3%A1/20220602-khong-ro-my-se-can-thiep-bao-ve-%C4%91ai-loan-chong-trung-quoc-bang-cach-nao
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire