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RFI - À grand bruit, Elon Musk s’est lancé dans une vague de licenciements au sein de Twitter, mais depuis déjà plusieurs mois, à bas bruit, de nombreuses entreprises de la Silicon Valley licencient. Plusieurs milliers de salariés de Meta, Snapchat, Lyft, Amazon… se retrouvent sans emploi. Crainte d’une récession ? Sureffectif dans le secteur ? Avenir morose de la tech ? Les causes sont diverses. RFI a interrogé des acteurs de la Silicon Valley pour mieux comprendre les raisons de cette crise.
En temps réel, une mise à jour des licenciements dans le secteur des technologies (principalement en Californie) est réalisée sur le site https://www.trueup.io/layoffs. Les chiffres sont conséquents et on y apprend que :
- Amazon se prépare à licencier environ 10 000 employés, un peu moins de 1% de sa masse salariale (1,54 million d'employés dans le monde).
- Meta, la maison mère de Facebook, a annoncé la suppression de 11 000 emplois, soit 13% de ses effectifs.
- Snapchat a supprimé près de 20% de ses effectifs, plus de 1 200 employés.
- Twitter, tout juste racheté par Elon Musk, a congédié la moitié de ses 7 500 salariés.
Même style de coupe dans les effectifs chez Intel, Salesforce… et un gel systématique des embauches chez Apple et Alphabet (Google).
« La modération n’est pas culturellement une vertu américaine »
Cette vague de licenciements impressionne, mais selon Yann, entrepreneur français vivant dans la Silicon Valley depuis 10 ans : « L'emploi aux États-Unis ne peut pas être comparé à celui de la France. Il est extrêmement plus souple aussi bien pour les employés que pour les employeurs » Il ajoute : « Aux USA, personne ne considère conserver le même emploi ou même rester dans la même ville toute sa vie. » Même processus côté entreprise : « Les entreprises américaines ont l'habitude de grossir en fonction du marché et de la demande. Elles feront toujours du préventif et n'attendent pas d'être dans le mur pour corriger le cap. En ce moment, elles licencient beaucoup et vite, mais elles embaucheront aussi vite dès que possible. »
Selon Jean-Louis Gassée, ancien d’Apple : « Ici aussi, on verse dans l’excès. Un jour, c’est tout va bien, puis le lendemain, c’est tout va mal. C’est comme ça aux États-Unis, tout doit être BIG ! La modération n’est pas culturellement une vertu américaine. »
Une baisse du chiffre d'affaires de Meta et une chute des bénéfices
La crise économique affecte la plupart des grandes sociétés technologiques qui ont beaucoup embauché pendant la pandémie. « Suite à la crise du Covid, il a été injecté beaucoup beaucoup d'argent dans l'économie, de la part du gouvernement américain, et particulièrement en Californie », explique Yann. Mais d’autres raisons émergent. Dans un message adressé aux salariés, M. Zuckerberg a expliqué : « Aujourd'hui, je partage certains des changements les plus difficiles que nous ayons faits dans l'histoire de Meta. » Le groupe, qui compte quelque 87 000 employés dans le monde, a fait état de performances financières décevantes au troisième trimestre, marquées par une baisse de son chiffre d'affaires et une chute de ses bénéfices. « Amazon a également vu des baisses dans les ventes sur sa plateforme, car il y a une crainte dans la population américaine de récession et de licenciement », explique Jean-Louis Gassée. Même Amazon Web Services (AWS), l'activité d'informatique à distance (cloud) du groupe, qui affichait jusqu'ici une croissance et une profitabilité insolentes, a vu ses revenus augmenter de façon plus modérée cet été, grimpant de 27%, contre 39% il y a un an. « Le nouveau DG d’Amazon, celui qui a eu l’intuition de l’AWS, passe donc en revue ce qui ne va pas dans l’entreprise, comme Alexa qui ne rapporte pas beaucoup. » Les licenciements sont prévus dans plusieurs divisions, notamment celle de l’assistant personnel Alexa ainsi que Luna, son unité de cloud gaming lancée au mois de mars 2022 aux États-Unis.
« Elon Musk se demande quoi vendre »
Mais peut-on parler de récession ? Jean-Louis Gassée pondère : « La question est légitime, la réponse dangereuse. Dans quel pays vont être effectifs les licenciements ? Hors USA ? En Inde ou au Bangladesh ? » Il explique : « les ingénieurs de la vallée vont être amenés à vendre, et ils n’aiment pas trop faire cela. Mais c’est un mal pour un bien. Elon Musk a ainsi un réel problème avec Twitter : il se demande quoi vendre ? Un réseau social, ce n’est pas comme une voiture ou un service de chargeur électrique. » Il ajoute : « Quand l’argent n’est plus gratuit, on investit moins. Dans le même ordre, la publicité marche moins bien à cause de l’économie en berne et cela impacte tout le monde. Le Metaverse lui reste très coûteux dans le cas de Meta. »
« En général, aux États-Unis, quand une grosse boîte commence à licencier, les autres font la même chose dans la foulée. On pourrait penser que ça ne touche qu'une partie des employés, comme les petits salaires ou les jobs précaires. Pas du tout, ça touche tout le monde », commente Yann : « Le principe est simple, on se sépare des emplois qui ne sont pas ou plus assez proche du "core" (noyau dur) de l’entreprise et des objectifs de demain. Du jour au lendemain, tout peut donc changer. Le soir, on est sur une nouvelle tâche, on répare un bug, on fait une réunion importante, et le matin tout s'arrête. Ça a été une douche froide et massive pour beaucoup. »
« J’ai été viré. Mais je pense que ça va aller »
Dans le département Intelligence artificielle (IA) et machine learning (Apprentissage automatique) de Meta, la coupe a été sévère. Des équipes de plus de 50 personnes ont été laissées sur le carreau. Yann raconte : "La veille des licenciements, j’ai lu un article qui disait que l'intégralité de l’équipe Machine Learning a été licenciée. Je pense directement à un ami. Je le contacte par Messenger pour lui demander s'il a été affecté en pensant que certains de ses collègues avaient dû être licenciés, mais que lui était sauf". Il me répond en fin de journée : "Hey Yann, I got laid off. But I think I'll be fine -- a lot exciting opportunities in AI nowadays." (Salut Yann, j’ai été viré. Mais je pense que ça va aller, beaucoup d’opportunités dans l’IA en ce moment).
Pour les Chinois et les Japonais, le mot crise est constitué de deux idéogrammes : Wei (danger) et Ji (opportunité). Une crise, c'est un paradoxe : une situation difficile qui permet de saisir de nouvelles opportunités et de rebondir. En Californie, on parle cette langue. Yann continue : « On a discuté après la nouvelle et, comme beaucoup, il ne s'y attendait pas. Il voyait qu'un truc était en train de se passer, mais rien de plus. Ça a été un choc pour moi également. Je n'aurais jamais pensé que mon ami qui faisait partie d'une équipe qu'aimait Zuckerberg et qui avait largement contribué à Facebook pendant 10 ans, puisse être licencié aussi facilement qu'on efface un mot en écrivant un mail. » En français, crise vient du grec krisis qui signifie décision, comme quoi…
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