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RFI/VN - La guerre d'invasion de l'Ukraine lancée par la Russie a révélé l'insécurité énergétique de l'Union européenne alors qu'elle dépend de la Russie pour 40 % de son approvisionnement en gaz et 30 % de son pétrole. Ce conflit est également perçu comme une opportunité pour l'UE d'accélérer encore la transition énergétique. Mais le développement des énergies renouvelables augmente-t-il le risque de « cumuler » la dépendance ?
Le conflit en Ukraine a plongé l'Union européenne (UE) dans une crise énergétique sans précédent. Avant le conflit, l'UE payait 200 milliards d'euros par an pour acheter du gaz à la Russie. La guerre éclate, les prix du pétrole et du gaz montent en flèche. Non seulement les sanctions n'ont pas arrêté la machine de guerre russe, mais les exportations de gaz russe, une importante source de revenus financiers, ont augmenté de 70 %.
Face à l'utilisation de l'énergie par la Russie comme arme pour contrer les sanctions ainsi que pour dissuader l'UE de soutenir l'Ukraine, le bloc des 27 membres s'est rapidement tourné vers d'autres marchés d'approvisionnement en carburant concentrés principalement dans trois régions : le Moyen-Orient, la Méditerranée et l'Amérique du Nord, à savoir les États-Unis. Lors de la Conférence géopolitique, coorganisée par l'Institut de relations internationales et stratégiques IRIS et la Radio France internationale RFI à Nantes (ouest de la France) le 23 septembre 2022, de nombreux énergéticiens ont prévenu, ces marchés ne pourront pas remplacer 30% de la production russe pétrole et 40 % des besoins en gaz vers l'UE.
Moyen-Orient, Méditerranée, Amérique du Nord : marchés potentiels et risques
D'une part, lors du passage à l'approvisionnement auprès de nombreux autres marchés, notamment au Moyen-Orient, l'Europe est entrée de manière invisible en concurrence avec de nombreux pays asiatiques tels que la Chine, l'Inde ou le Japon - le pays consomme beaucoup de pétrole et de gaz importés de l'étranger. Pour la seule Chine, un quart de ses importations de pétrole proviennent d'Arabie saoudite. D'une manière plus générale, l'Union européenne plus la Turquie importent le même volume de pétrole que la Chine : entre 11 et 12 millions de tonnes de pétrole par jour.
Cependant, Emmanuel Hache, directeur de recherche à l'IRIS, économiste à l'IFP spécialisé dans les énergies renouvelables, lors de la conférence de Nantes, a encore noté que derrière l'importation de pétrole et de gaz, il y a une guerre des monnaies en développement. "La Chine négocie actuellement le règlement de contrats en renminbi avec l'Arabie saoudite. La Russie et la Chine négocient également des contrats en roubles et en yuans. Donc, derrière le problème du pétrole, il y a aussi la prépondérance de la monnaie internationale. On voit que Pékin, à travers la question pétrolière, a fait des efforts pour internationaliser sa monnaie. C'est exactement ce que fait la Chine avec les Nouvelles Routes de la Soie".
D'autre part, en Méditerranée orientale, ces dernières années, de nombreux grands gisements de pétrole et de gaz ont été découverts, mais c'est une zone avec de nombreux conflits géopolitiques en raison de conflits territoriaux pour l'accès aux ressources, comme les tensions entre la Turquie et la Grèce, notamment avec la République de Chypre.
Experte des enjeux énergétiques dans le domaine de la défense et de la sécurité, Mme Noémie Rebière, actuellement en poste au ministère français des Armées, lors d'une conférence sur la géopolitique de l'énergie à Nantes, a souligné, le gaz dans la région géopolitique de la méditerranéenne, en plus de la géopolitique questions et tensions entre pays de la région, sera d'abord consacrée à la consommation dans les pays de la région.
"L'Egypte, avec plus de 100 millions d'habitants, est un pays peuplé avec des besoins énergétiques très importants, donc le gaz qui pourra être exploité sera d'abord pour la consommation domestique. De même, Israël, qui a une politique de sécurité énergétique plutôt stricte, donnera également la priorité à la consommation intérieure puis à l'exportation. Puis on a vu aussi la Turquie, malgré son animosité envers ces pays, chercher désormais à se rapprocher. Des négociations ont été engagées entre Tel-Aviv et Ankara pour construire des infrastructures, notamment un gazoduc d'Israël à la Turquie, qui est aussi un marché de consommation potentiel avec plus d'une demi-douzaine d'actions de 85 millions de personnes."
Quant au marché du gaz liquéfié GNL, c'est un autre grand défi. L'Union européenne s'appuie de plus en plus sur les États-Unis et, dans une certaine mesure, sur le Canada. Selon l'enseignante Maria-Eugenia Sanin Vazquez, spécialisée en économie de l'énergie et de l'environnement, Université Paris Saclay, l'UE semble ajouter une nouvelle dépendance.
"Premièrement, pour le marché GNL, nous serons compétitifs si la demande augmente. Nous sommes en concurrence avec la Chine, avec un tas d'autres pays qui ont des besoins, donc ce n'est pas encore une solution. Cela ne fera pas baisser les prix sur le marché et nous tomberons dans une autre dépendance. Le deuxième point important est que pour importer du gaz, y compris à partir de sources de carburant non régionales, des investissements massifs dans les infrastructures de traitement du gaz liquéfié sont nécessaires. Mais si nous sommes cohérents avec nous-mêmes et respectons nos engagements climatiques, ce sont des investissements difficilement amortis, car la durée de vie de ce type d'infrastructures doit s'étendre à 30 ans."
Energie verte : Sortir du gaz russe pour dépendre du métal chinois?
Le deuxième axe que l'UE vise à assurer la sécurité énergétique est d'accélérer encore la transition énergétique verte en développant de nombreuses sources d'énergie renouvelables telles que l'éolien, l'énergie solaire, etc. En principe, celles-ci seront "pacifiques", "sans conflit" et des sources d'énergie "sûres", puisqu'elles autorisent des restrictions sur les importations de gaz. Or, pour M. Emmanuel Hache, cette idée est une erreur. Le conflit en Ukraine va encore accélérer le développement des énergies vertes, poussant l'Europe et le monde dans une course géoéconomique, une concurrence technologique de plus en plus féroce entre les pays.
"La chose intéressante à observer ici est que les gens parlent souvent de la concurrence américano-chinoise sur de nombreux fronts, c'est-à-dire de la concurrence de force entre les deux géants du monde. Mais derrière cette concurrence, il y a aussi l'enjeu géopolitique du brevetage des technologies bas carbone. Pourquoi? Tout simplement parce que si l'on veut affirmer sa force dans les décennies à venir, il faut absolument avoir beaucoup de brevets, c'est-à-dire innover, puis produire ces technologies bas carbone. Ici, vous avez vraiment le problème de la concurrence géoéconomique dans le secteur technologique lui-même."
Mais ces technologies nécessitent un approvisionnement important en terres rares, (les terres rares sont un groupe de métaux aux propriétés voisines comprenant le scandium Sc, l'yttrium Y et les quinze lanthanides.). Par exemple, le lithium pour la production de batteries pour voitures électriques, que l'Europe compte développer largement d'ici 2035. La demande de lithium - une sorte d'or blanc comme l'appellent les experts - qui a triplé depuis 2015, pour atteindre une production niveau de 100 000 tonnes/an en 2021.
Si une recherche de l'Université de Louvain, Belgique (25 avril 2022), prédit qu'en Europe, d'ici 2050, la demande de lithium sera multipliée par 35 par rapport à aujourd'hui, alors Maria-Eugenia Sanin Vazquez, Université Paris Saclay, a prévenu l'offre de lithium est très limité. "Actuellement, il n'y a que 6 points d'extraction de lithium dans le monde pour les batteries de voitures électriques, dont deux en Chine, et la majeure partie du lithium extrait en Australie est également exportée vers la Chine, le pays producteur de lithium. à 70% des batteries vers l'Europe "
Comme l'a observé le géologue Olivier Vidal, directeur de recherche du Centre national de la recherche scientifique CNRS, cité par France 24, dans un contexte où tous les pays commencent à basculer vers une énergie presque propre en même temps, la demande de nombreux métaux importants va monter en flèche et "qui va certainement provoquer beaucoup de tensions géopolitiques dans les années à venir, en plus de devoir anticiper des hausses de coûts et la possibilité de rencontrer des difficultés d'approvisionnement."
Vue sous cet angle, après un siècle de tensions géopolitiques autour du pétrole et du gaz, l'Union européenne risque désormais de retomber dans une nouvelle dépendance vis-à-vis des pays producteurs de métaux importants pour le développement de technologies à faible émission de CO2. Selon M. Emmanuel Hache, il est clair que l'Europe comme la France ne change pas de dépendances mais charge plus de dépendances.
"Les gens continueront à consommer du pétrole, du gaz et du charbon, et ils ajouteront au mix énergétique mondial des technologies à faibles émissions CO2 comme le solaire, l'éolien... La géopolitique des fossiles telle que nous la connaissons aujourd'hui, a désormais un nouveau domaine : sources d'énergie renouvelables. C'est le premier point.
La deuxième chose à ajouter est que plus la transition énergétique est avancée, plus l'Europe ainsi que les États-Unis dépend de la Chine. Pourquoi? Tout simplement parce que la Chine en termes de matériaux, même si elle n'est pas nécessairement le plus grand producteur au monde, est un pays leader dans le raffinage. C'est la Chine qui va raffiner les minerais, nécessaires aux industries à faible émission de carbone."
Énergie modérée ou consommation modérée de minéraux ?
Toujours d'après Emmanuel Hache, directeur de recherche à l'IRIS , on parle beaucoup de terres rares, de lithium, de cobalt mais on ignore les enjeux liés à d'autres métaux courants comme le cuivre, la bauxite, le nickel..., qui est aussi indispensable à la vie quotidienne et joue un rôle rôle important dans la décarbonisation des sources d'énergie. Chaque métal, associé à un enjeu, peut être géoéconomique, mais aussi environnemental ou géopolitique. Le passage à l'énergie verte augmentera également la pression sur l'approvisionnement en métaux communs, qui sont également sous pression sur le marché international.
Ainsi, de l'avis de Emmanuel Hache, expert économique, l'UE en particulier et le monde en général sont confrontés à une matrice d'enjeux géopolitiques énergétiques.
"Quand on parle de géopolitique des sources d'énergie, on risque d'avoir un mélange de géopolitique des métaux et de géopolitique de l'énergie qui crée un énorme mix géopolitique. . Mais cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas décarboner, donc il faut aller dans ce sens, mais il faut considérer tous les risques possibles, il ne faut pas fermer les yeux et aller de l'avant avec tant de dépendances, notamment en Europe."
Dans ce contexte, l'Union européenne estime qu'il existe une troisième solution : utiliser modérément l'énergie. La plupart des experts en France pensent que la "modération" de l'énergie ne se situe pas seulement dans la consommation d'énergie mais aussi dans l'utilisation des matériaux. En ce sens, l'Union européenne propose également des solutions pour recycler et réutiliser des ressources énergétiques rares et précieuses, afin de réduire la dépendance aux sources externes ou limiter l'impact environnemental de l'exploitation minière directement sur le territoire. Seulement, M. Matthieu Auzanneau, directeur du bureau de conseil en conversion énergétique Shift Project, a une nouvelle fois tiré la sonnette d'alarme : l'Europe, et notamment la France, n'a plus d'industrie métallurgique pour recycler ou fabriquer des batteries au lithium !
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