vendredi 21 mars 2025

(FR) Qu’est-ce que le futur missile nucléaire hypersonique français ASN4G ?

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Un Rafale armé de deux missiles SCALP. Armée de l’air. (Anthony JEULAND)

Le président français Emmanuel Macron a confirmé mardi 18 mars 2025, depuis la base de Luxeuil, que la France serait équipée d’ici à 2035 d’un missile hypersonique ASN4G, ce qui représentera un tournant stratégique pour sa dissuasion nucléaire aéroportée.


La base aérienne 116 de Luxeuil-saint-Sauveur, près de Luxeuil-les-Bains (Haute-Saône), va donc retrouver sa vocation nucléaire et sera la base qui abritera le futur missile nucléaire hypersonique français, l’ASN4G, a annoncé mardi Emmanuel Macron.

Développé depuis 2014 par l’industriel MBDA et l’ONERA (Office national d’études et de recherches aérospatiales), l’ASN4G (Air-Sol nucléaire de 4ème génération) doit succéder au missile supersonique qui emporte actuellement la tête nucléaire aéroportée (TNA), l’ASMPA (Air-Sol moyenne portée amélioré), et qui constitue la composante aérienne de la dissuasion nucléaire française. L’ASN4G doit devenir, d’ici à 2035 et jusqu'au-delà de 2050, la « figure du renouvellement entamé de la modernisation de notre dissuasion nucléaire », assure le chef de l’Etat. Voici ce qu’il faut savoir sur ce futur missile.


C’est quoi au juste, un missile hypersonique ?

Oui, avant tout, de quoi parle-t-on ? Un missile hypersonique, « c’est un missile ayant la capacité à la fois de voler à vitesse hypersonique (Mach 5 et plus, c’est-à-dire au moins 6.100 km/h) et de manœuvrer à cette vitesse », insiste Etienne Marcuz, spécialiste des systèmes stratégiques et des questions nucléaires. « Quasiment toutes les armes balistiques, comme le M51 (missile mer-sol balistique stratégique (MSBS) - en anglais SLBM : Submarine Launched Ballistic Missile équipant les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, l’autre composante de la dissuasion nucléaire française), se déplacent à vitesse hypersonique, mais elles ne manœuvrent pas à cette vitesse. C’est là que se situe toute la différence. »


Concrètement, à quoi ça sert ?

L’objectif de la manœuvrabilité de l’arme hypersonique est de faire effectuer des mouvements au missile, notamment des virages, à très grande vitesse pour le rendre interceptable. « Il faut déjouer les défenses antimissiles adverses, de plus en plus sophistiquées » explique Etienne Marcuz. « Lorsque vous êtes attaqué, poursuit-il, vous ne tirez pas votre missile défensif en direction du missile assaillant, mais vers un point de rencontre calculé au préalable par votre radar. Il suffit dès lors que le missile assaillant n’ait pas une trajectoire balistique, c’est-à-dire prédictive, et effectue un virage au dernier moment, pour que votre intercepteur rate ce point de rendez-vous. »


Quelles seront les capacités de l’ASN4G ?

Maintenant que l’on a bien compris ce qu’est un missile hypersonique, et à quoi ça sert, penchons-nous sur ce fameux ASN4G. Il est a priori acquis que ce missile dépassera la vitesse Mach 5, et il pourrait même selon certains spécialistes atteindre Mach 6 ou 7, soit entre 7.400 et 8.600 km/h. Il sera également doté d’une grande manœuvrabilité. Donc pas de souci, il remplit bien tous les critères pour être qualifié d’hypersonique.

Sa portée serait par ailleurs de plus de 1.000 kilomètres. Il doublerait ainsi celle de l’ASMPA (Air-sol moyenne portée amélioré), ce qui permettra de le tirer de plus loin, et de moins exposer l’appareil et l’équipage qui le portent.

« Ce sera le tout premier missile hypersonique français, l’idée étant de toujours avoir un coup d’avance sur nos compétiteurs, avec un armement qui ne pourra pas être intercepté » nous dit-on du côté de l’armée de l’air.


Qui d’autre dans le monde possède ce type d’arme hypersonique?

S’ils sont nombreux à revendiquer en posséder une, ils seraient relativement peu à l’avoir réellement. « Les Russes entretiennent le flou sur cette question, relate Etienne Marcuz. Prenez leur missile hypersonique air-sol Kinjal, qu’ils présentent comme une arme hypersonique. En réalité, ce n’en est pas vraiment une parce que sa vitesse est bien hypersonique, mais sa capacité de manœuvre reste assez limitée. Elle est certes suffisante pour perturber les systèmes de défense adverse, mais elle ne permet pas de trajectoire particulièrement complexe, comme cela est attendu pour les vraies armes hypersoniques. Idem du côté des Iraniens. Lorsqu’ils ont mené leur attaque le 1er octobre 2024 contre Israël, eux aussi ont annoncé avoir utilisé des missiles hypersoniques « Fattah » (dont la plupart ont été interceptés par les systèmes de défense israéliens). Mais ces missiles n’effectuent que de légères manœuvres, insuffisantes pour les qualifier d’hypersoniques. »

Même les Etats-Unis, assure Etienne Marcuz, « n’ont pas encore démontré qu’ils arrivaient à faire quelque chose de véritablement concluant avec leurs armes hypersoniques. » Pour le spécialiste, le seul pays qui serait assurément en sa possession est la Chine, avec le missile DF-17, qui pourrait voler à Mach 10. « Je pense que les Chinois sont véritablement les seuls à pouvoir prétendre détenir une arme hypersonique, sachant qu’ils travaillent dessus depuis très longtemps. » Avant d’ajouter « qu’en réalité, il n’existe aucune information, non classifiée en tout cas, permettant d’affirmer qu’un pays maîtrise à la perfection l’arme hypersonique. »


La France en est-elle capable ?

Voilà en tout cas qui permet de mieux comprendre l’importance stratégique que représenterait l’acquisition d’un missile hypersonique par la France. « Sans aucun chauvinisme mal placé, la France est excellente dans la conception de missiles, soutient Etienne Marcuz. Le missile de croisière ASMPA (Air-sol moyenne portée amélioré), qui va à des vitesses de Mach 3, Mach 4, est déjà un bijou de technologie. C’est donc tout à fait crédible pour la France d’arriver à mettre au point un système hypersonique, même si la technologie est très différente de celle de l’ASMPA, puisque vous passez d’un statoréacteur à un super-statoréacteur (ou statoréacteur mixte, c’est-à-dire un moteur effectuant successivement une combustion subsonique et supersonique), ce qui est beaucoup plus complexe. »


Pourquoi ces programmes sont-ils si longs à développer ?

Evoqué dès 2014, le programme ASN4G ne verra donc le jour qu’en 2035. Vingt ans pour sortir un missile, est-ce normal ? « Ce sont des programmes très longs à développer car ce sont des technologies qu’il faut inventer de toutes pièces » confirme Etienne Marcuz. « Mais c’est un rythme qui est maîtrisé, sachant que la France planifie ses programmes de modernisation de la dissuasion nucléaire sur des décennies ».


Qui pourra embarquer cet ASN4G ?

« Le Rafale actuel ne pourrait pas embarquer l’ASN4G, notamment en raison de ses capacités hypersoniques, nous explique-t-on du côté de l’armée de l’air. Ce sera le véritable enjeu du Rafale F5, attendu pour 2030-2035. » « La réelle contrainte de l’ASN4G, c’est sa masse et son poids, car cela va être un énorme truc, avec toutes les complications que cela entraîne, ajoute Etienne Marcuz. Ce missile a été conçu à la base pour être emporté sur le SCAF (Système de combat aérien du futur, qui prévoit la conception d’un nouvel avion de chasse entre la France, l’Allemagne, et l’Espagne), qui sera beaucoup plus gros. Mais en attendant son arrivée, il faudra bien qu’il puisse être porté par le Rafale ». L’ASN4G devra aussi être catapultable par un porte-avions.

Reste à savoir si la charge nucléaire (ou tête nucléaire aéroportée, TNA) actuellement emportée par la cinquantaine de missiles ASMPA sera directement transposable sur les futurs missiles ASN4G, ce qui semble tout à fait « possible » pour Etienne Marcuz. D’une puissance maximale estimée à 300 kilotonnes, ces TNA sont des armes dites stratégiques, c’est-à-dire d’une puissance relativement élevée, mais en dessous des missiles M51 des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (qui possèdent plusieurs têtes nucléaires de 100 kt dans chaque missile). « L'ASMPA est en fait l’armement privilégié pour le tir d’ultime avertissement » explique Etienne Marcuz.

La base de Luxeuil-Saint-Sauveur devra de son côté s’adapter et s'équiper de soutes à munitions très spécifiques, « avec ses contraintes tant en matière de sécurité que de sûreté » pour accueillir ces missiles nucléaires, relève le spécialiste. « Il faudra par exemple très certainement y déployer des batteries de systèmes antiaériens et antimissiles ».


Article de Mickaël Bosredon, « Qu’est-ce que le missile nucléaire hypersonique ASN4G, que la France veut acquérir d’ici à 2035 ? », 20 mars 2025. Il est le journaliste à 20 Minutes depuis 2001, d'abord à Paris, puis à Bordeaux. Auparavant dans la presse régionale essentiellement.


COMMENTAIRES

Plus de Rafale, plus vite. C’est l’annonce qu’a faite Emmanuel Macron, ce mardi 18 mars 2025 à la base de Luxeuil saint Sauveur, en Haute-Saône. Une annonce qui pourrait avoir des répercussions sur les carnets de commandes de Dassault, producteur de l’avion de chasse Rafale, implanté en Gironde.

Ces avions de chasse Dassault Rafale, outils clés de l’armée de l’air et de l’espace sont en partie produits près de Bordeaux, à Mérignac. En 2024, sur les 164 avions fabriqués sur tout le territoire, 14 sont sortis de l’usine girondine.

"La France devra continuer à se défendre" : les commandes de Rafale pourraient exploser pour Dassault et ses 400 prestataires. (france3-regions.francetvinfo.fr)


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