mardi 12 juillet 2022

(FR) Uber files : le scandale qui éclabousse Emmanuel Macron

 

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La société de taxis a identifié Macron comme un allié clé lorsqu'il était ministre français de l'Economie. Illustration : conception de gardien ; Chesnot/Getty Images.

Emmanuel Macron est au centre d’une vive polémique depuis la publication des Uber Files, pointant des liens entre le président, à l’époque où il était ministre de l’Economie, et l’entreprise américaine Uber en France..

Depuis plusieurs années, Uber s’est inscrit dans le quotidien de nombreux Français, que ce soit pour remplacer un taxi par une voiture de transport avec chauffeur (VTC). Dans le monde, ce ne sont pas moins de 118 millions d’utilisateurs qui sont actifs sur l’application de VTC. 

Un succès fou. Mais qui s’explique par une stratégie très agressive de la part de l’entreprise californienne. C’est ce que révèlent les Uber files, une enquête réalisée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), dont Le Monde et Radio France font partie. La violence à sa place dans cette stratégie, l’illégalité presque.

Une enquête dans laquelle on apprend qu’Emmanuel Macron a quasiment été un partenaire d’Uber pour favoriser son implantation, alors que l’actuel Président était ministre de l’Économie. 

Au total, ce sont pas moins de 120.000 documents qui ont fuité auprès de The Guardian, datés entre 2013 et 2017, qui ont été épluchés par pas moins de 42 journaux partenaires. Voici ce qu’il faut en retenir.


De quoi est accusé Uber ?

L’enquête montre par plusieurs aspects la manière dont Uber s’est implanté dans différents pays en « ignorant les règlementations en vigueur, travaillant avec une banque russe sous sanctions, offrant des cadeaux à des hommes politiques, instrumentalisant ses chauffeurs, lorsqu’elle n’en fait pas des boucs émissaires », note franceinfo

Parmi les méthodes employées, le lobbying intense auprès des parlementaires ou des membres de gouvernement. Rien qu’en 2016, Uber aurait dépensé 90 millions d’euros pour du lobbying.

Pour approcher les hommes politiques et tisser son réseau, l’entreprise californienne Uber, dirigée à l’époque par Travis Kalanick, PDG épinglé pour ses méthodes et qui a depuis laissé sa place, offre des cadeaux : tarifs réduits pour des trajets, déjeuner dans des restaurants prestigieux ou encore aide pour faire campagne.

Alors qu’à l’horizon 2014, l’image d’Uber est mauvaise (en cause notamment, l’uberisation de la société), l’entreprise rémunère des économistes afin de dire du bien de l’entreprise et de son modèle. 

« Les plates-formes numériques, comme celle d’Uber, sont une solution d’avenir », explique Augustin Landier auprès du Journal Du Dimanche JDD, économiste français épinglé dans l’enquête. Nicolas Bouzou aurait touché 10.000 euros pour faire une étude « assortie d’un service après-vente dans les médias ».


Pourquoi Emmanuel Macron est impliqué ? 

C’est un volet de l’enquête qui touche au chef de l’État. Le Monde conclut à l’existence d’un « deal » (accord) secret entre Uber et Emmanuel Macron à Bercy. Le quotidien fait état de réunions dans le bureau du ministre, de nombreux échanges (rendez-vous, appels ou SMS) entre les équipes d’Uber France et Emmanuel Macron ou ses conseillers, citant notamment des comptes-rendus de réunions rédigés par le lobbyiste irlandais de 52 ans Mark MacGann.

Mark MacGann, "le lanceur d'alerte", affirme être l'homme à l'origine de ces Uber files, et avoir dirigé les efforts d'Uber visant à convaincre les gouvernements d'Europe, du Moyen-Orient et d'Afrique de laisser la société s'implanter dans une quarantaine de pays. Il a supervisé les tentatives d'Uber de persuader les gouvernements de modifier la réglementation des taxis et de créer un environnement commercial plus favorable à l'entreprise dans plus de 40 pays. Occupant la fonction de responsable des politiques publiques pour la région EMEA (Europe Middle East & Africa) entre 2014 et 2016, il avait été débauché d’un cabinet de conseil en lobbying européen qu'Uber avait engagé pour superviser les relations gouvernementales en dehors des États-Unis.



Photographie issue de l'interview délivrée par Mark MacGann au journal britannique The Guardian et diffusée le lundi 11 juillet sur la chaîne YouTube du média.

Sont pointées du doigt certaines pratiques destinées à aider Uber à consolider ses positions en France : Emmanuel Macron aurait par exemple suggéré à l’entreprise de présenter des amendements à des députés.

Quand Uber veut s’implanter en France, à la fin 2011, le service de VTC se heurte à la loi française, contraignante pour les chauffeurs, mais aussi à une opposition vive des chauffeurs de taxi.



Manifestation de chauffeurs de taxis à Paris le 26 janvier 2016, qui protestent notamment contre Uber. (©AFP/Archives/Eric Feferberg)

En 2014, de violentes manifestations anti-Uber éclatent et une loi contraignant un peu plus les VTC est votée : la loi Thévenoud 2014

Mais dans le même temps, Emmanuel Macron, peu de temps après sa nomination au ministère de l’Économie, reçoit Travis Kalanick : « dans une atmosphère remarquablement chaleureuse, amicale et constructive » et avec « une volonté claire de travailler autour de la… législation », selon le lobbyiste Mark MacGann, dans une note présente au sein des « Uber Files ».

Ce dernier va plus loin en affirmant qu’Emmanuel Macron « a demandé aux régulateurs de ne pas être trop conservateurs ».


Est-ce qu’Uber a agi dans l’illégalité ? 

Pendant un an environ, selon nos confrères de franceinfo, Uber a utilisé un « kill switch ». Les révélations Uber Files par un consortium de journalistes ont remis sur le devant de la scène le terme « kill switch », une sorte de bouton court-circuit qui permettait à l’entreprise de désactiver des ordinateurs à distance en cas de perquisition de la police. Des méthodes planifiées et très encadrées, pour une start-up qui a toujours dit publiquement vouloir se conformer à la loi.



Alors, lors d’une perquisition, comme cela survient en novembre 2014, les policiers ne peuvent quasiment rien trouver. Le dispositif empêche les autorités de saisir leurs données. 

Le « kill switch » a été utilisé lors de perquisitions conduites par la police en France, mais aussi au Canada, aux Pays-Bas, en Belgique, en Inde, en Hongrie et à Hongkong. Cet outil a été activé à 13 reprises entre novembre 2014 et décembre 2015.

Enfin, et même si cela n’est pas illégal, la violence faisait partie, à part entière, de la stratégie d’Uber pour se développer. En 2015, quand des chauffeurs de taxi à Bruxelles harcèlent les chauffeurs Uber, le directeur générale de la société en Belgique s’en réjouit, selon des propos rapportés par franceinfo.



Manifestation de taxis à Paris le 26 janvier 2016, qui protestent notamment contre Uber. (©AFP/Archives/KENZO TRIBOUILLARD)

Après cette enquête, quelle suite ?

La présidence du groupe La France insoumise (LFI) à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot a dénoncé sur Twitter un « pillage du pays », Emmanuel Macron ayant été selon elle à la fois « conseiller et ministre de François Hollande et lobbyiste pour la multinationale états-unienne visant à déréguler durablement le droit du travail ».



La présidente du groupe parlementaire de La France insoumise (LFI), Mathilde Panot, à l’Assemblée nationale, le 6 juillet 2022. (©AFP/Archives/BERTRAND GUAY)

Clémence Guetté, Vice-présidente du groupe LFI, a annoncé sur Twitter faire la demande d’une commission d’enquête parlementaire.

À l’autre bord, Jordan Bardella, président du Rassemblement national (RN), a aussi jugé que « le parcours d’Emmanuel Macron a une cohérence, un fil rouge : servir des intérêts privés, souvent étrangers, avant les intérêts nationaux ».

Interrogé par l’AFP, l’ancien député du Parti socialiste (PS) Thomas Thévenoud, qui a donné son nom à la loi d’octobre 2014 délimitant plus précisément les droits et devoirs respectifs des taxis et des voitures de transport avec chauffeur (VTC), estime qu’Emmanuel Macron « est resté un interlocuteur privilégié » d’Uber.

La patronne des députés La République en marche (LREM) Aurore Bergé a balayé ces critiques, jugeant « formidable un pays qui s’offusque qu’un ministre de l’Économie reçoive des chefs d’entreprise de manière totalement publique dans un débat qui était un débat parlementaire ».

« Il n’y a pas de deal, il n’y a pas de contrepartie, il y a un ministre qui a reçu de grands chefs d’entreprise et c’est normal », défendant le Président. Qui pourrait s’expliquer sur cette affaire en interview ce jeudi 14 juillet


"Si c’était à refaire, je le referais": après les Uber Files, Macron assume

Mis en cause pour ses échanges privilégiés avec la plateforme Uber, le président de la République estime qu'il fallait alors "lutter par tous les moyens contre le chômage de masse".




Emmanuel Macron persiste et signe. Deux jours après la divulgation des Uber files, le président de la République, accusé d'avoir favorisé l'implantation de l'entreprise américaine du temps où il occupait le poste du ministre de l'Économie, dit assumer "ses actes d'alors, arguant qu'il avait fait son travail."






Le Monde : Uber files
https://www.lemonde.fr/uber-files/

The Guardian : Uber broke laws, duped police and secretly lobbied governments, leak reveals
https://www.theguardian.com/news/2022/jul/10/uber-files-leak-reveals-global-lobbying-campaign

Uber Files : révélations sur les pratiques de lobbying du géant des VTC
https://www.francetvinfo.fr/politique/affaire/uber-files/enquete-uber-files-revelations-sur-les-pratiques-de-lobbying-du-geant-du-vtc_5248534.html

Qu'est-ce que l'ubérisation ?
https://www.vie-publique.fr/fiches/270196-quest-ce-que-luberisation

Qu’est-ce que le « kill switch » qu’Uber utilisait pour échapper aux perquisitions ?
https://www.numerama.com/politique/1035052-quest-ce-que-le-kill-switch-quuber-utilisait-pour-echapper-aux-perquisitions.html




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