mardi 1 novembre 2022

(FR) Grâce à la Russie, l'industrie de l'énergie nucléaire est régénératrice.

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La centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine, région Grand Est, nord-est de la France, est gérée par le groupe national d'électricité EDF. Photo prise le 27 novembre 2021. AFP/François Nascimbeni.

RFILes États-Unis ont investi 9 milliards de dollars pour moderniser les centrales nucléaires. L'opinion publique au Japon après le choc de l'accident de la centrale de Fukushima croit à nouveau au nucléaire. La Russie a transformé le gaz en une arme pour attaquer l'ensemble de l'économie de l'Union européenne, obligeant l'Allemagne à payer un lourd tribut pour sa décision de mettre fin à l'énergie nucléaire. Avant que la Suède, la Finlande et la France n'annoncent un plan "ambitieux" de restauration du nucléaire et d'autosuffisance énergétique.

L'un des effets inattendus depuis l'invasion de l'Ukraine par le Kremlin est que l'industrie de l'énergie nucléaire dans le monde, en particulier en Europe, est vraiment en train de renaître.


Poutine, le moteur de l'industrie européenne de l'énergie nucléaire

En tant que l'un des points d'appui les plus solides de Kiev, tant sur le plan militaire que diplomatique et surtout sur le plan humanitaire, la Pologne a été l'un des premiers clients que la Russie a coupé son approvisionnement énergétique dès le début de la guerre. Huit mois plus tard, Varsovie a officialisé un contrat avec Westinghouse des États-Unis pour construire la première centrale nucléaire de Pologne, avec 6 réacteurs. La centrale de Choczewo, près de la mer Baltique, dans le nord de la Pologne, devrait entrer en service à partir de 2033.

À la mi-octobre 2022, le nouveau gouvernement de coalition de droite et d'extrême droite en Suède a annoncé son intention de construire des "réacteurs multiples" pour s'adapter aux objectifs de consommation d'électricité et d'émissions de carbone du pays. Les milieux industriels parlent d'un "tournant" dans la politique énergétique du pays nordique.



Diagramme du réacteur de la société NuScale.

Actuellement, 6 réacteurs fournissent de l'énergie nucléaire, assurant 30% de la demande d'électricité à l'échelle nationale. Depuis les années 1980, l'opinion publique suédoise privilégie une alternative progressive à l'énergie nucléaire. En Suède, le gouvernement sortant s'est même fixé un objectif de « 100 % d'énergies renouvelables d'ici 2040 ». Mais à partir de juillet 2022, Vattenfall, le leader dans le domaine de l'énergie atomique suédois, a annoncé "des investissements dans les nouvelles technologies", en se concentrant sur la conception technologique des petits réacteurs modulaires RMP (en anglais : small modular reactor, abrégé en SMR). Parallèlement à de nouveaux projets, Stockholm investit également dans la modernisation ou la remise en service de réacteurs récemment fermés.

En Finlande, pays frontalier de la Russie, Helsinki se réjouit que la centrale nucléaire de nouvelle génération EPR Olkiluoto-3 ait été mise en service après de nombreuses années d'anticipation. Bien qu'Olkiluoto-3 soit retardé de 12 ans, la Finlande s'attend à ce que d'ici la fin de 2022, cette troisième plus grande usine au monde couvre jusqu'à 40 % de la demande nationale. D'une capacité de 1.600 mégawatts, cette centrale est plus que capable de combler le vide laissé par les fournisseurs russes. En 2021, la Finlande doit importer 20 % de l'électricité consommée dans le pays et la moitié de celle-ci est de l'énergie russe, soit l'équivalent de 1.300 mégawatts. Mais à partir de mai 2022, comme de nombreux autres clients européens, la Finlande ne pourra plus compter sur le gaz russe.

La politique finlandaise de développement du nucléaire civil ne s'arrête pas là. Fortum Corporation est entrée dans la course pour construire les petits réacteurs modulaires RMP (en anglais : SMR) en Finlande et en Suède. Pour ce groupe de pouvoir nordique, la guerre d'Ukraine était une opportunité, d'autant plus que 60 % de l'opinion finlandaise approuvait l'utilisation du nucléaire.


Le dilemme de l'Allemagne

En ce qui concerne l'Allemagne, il n'est pas certain d'enterrer l'objectif d'éliminer complètement le nucléaire avant le seuil de 2030, mais le 17 octobre 2022, le Premier ministre Olaf Scholz a annoncé la prolongation de la durée de vie des trois dernières centrales nucléaires restant en activité. Berlin, sous le prédécesseur de la chancelière Angela Merkel, s'est engagé à fermer sa dernière centrale nucléaire d'ici le 31 décembre 2022. Olaf Scholz a timidement repoussé cette échéance à avril 2023 et bien que le nucléaire n'assure que 6% de la demande de consommation nationale, la récente décision du gouvernement allemand a provoqué de nombreuses turbulences au sein du gouvernement de coalition.

Sans électricité pour les usines, l'Allemagne risque de perdre son rôle de locomotive industrielle dans toute l'Union européenne.


La France sprinte pour retrouver la gloire perdue  

En France notamment, en février 2022, le président Emmanuel Macron, alors qu'il s'apprêtait à briguer un nouveau mandat, a annoncé un plan "ambitieux", pariant sur les petits réacteurs modulaires RMP (en anglais : SMR). Par ailleurs, Paris s'est fixé pour objectif de construire 6 réacteurs nucléaires de nouvelle génération EPR, étudiant la possibilité d'équiper 8 tranches supplémentaires d'ici 2050 (total de 14 EPR) pour rétablir l'électricité nucléaire. Le président Emmanuel Macron veut à tout prix éviter de laisser les tensions géopolitiques menacer directement la machine de production, l'économie française et la force de vente des 66 millions de Français.

Le nucléaire couvre actuellement 70 % des besoins électriques de la France. Avec 56 réacteurs, tous gérés par la société nationale d'électricité EDF, la France est le deuxième producteur mondial d'électricité nucléaire et le fournisseur de nombreux autres clients en Europe, l'Allemagne en tête. Mais au 30 septembre 2022, 36 des 56 réacteurs du pays ont dû être temporairement arrêtés pour des contrôles de sécurité. La capacité d'approvisionnement est réduite de plus de 25% par rapport à la normale.

Même pendant les mois d'été les plus chauds, le gouvernement et les médias ont mis en garde contre le risque "d'un hiver froid" en raison du manque d'électricité pour le chauffage et du manque d'électricité pour le fonctionnement des usines. On rappelle constamment aux gens de "modérer" dans leur vie quotidienne pour économiser de l'énergie.

Sur Arte, le professeur d'économie Elie Cohen, spécialiste français de l'industrie, a évoqué un paradoxe: la France est la deuxième plus grande centrale nucléaire du monde, après les États-Unis, mais a perdu sa gloire :

"Le nucléaire français est un exemple de la brillante réussite de Colbert (directeur financier de Louis 14), l'oiseau phare de la politique industrielle avec l'intervention du gouvernement du pays. C'est une belle réussite à bien des égards, de la politique de développement de l'énergie nucléaire, aux modalités de mise en place et d'exploitation des centrales… Or, désormais la France s'inquiète qu'il n'y ait pas assez d'électricité pour passer cet hiver.

On ne sait pas si la société nationale d'électricité EDF peut se permettre de construire davantage de centrales nucléaires. Comment est ce gâchis ? Après de grands efforts pour construire toute une gamme de technologies nucléaires pour obtenir des centrales, des réacteurs… ces efforts sont au point mort. La France s'est relâchée pendant 30 ans, ne construisant plus d'usines, ne construisant plus de réacteurs. Les techniques, les connaissances à travers lesquelles se perd. Les connaissances de base de l'industrie nucléaire s'estompent. Par exemple, il est aujourd'hui difficile de trouver un fabricant de canalisations avec des normes très précises pour une utilisation dans les centrales nucléaires.

Quand le gouvernement a demandé à EDF de relancer l'activité, bien sûr il y a eu du retard. Sans compter que le gouvernement lui-même a hésité à plusieurs reprises, voulant réduire sa dépendance au nucléaire et passer aux énergies renouvelables. En 2012, le président François Hollande a décidé de réduire le niveau de dépendance à l'énergie nucléaire, de 70 % à 50 %. Les 50% restants sont destinés aux énergies renouvelables. En 2012 a aussi été l'année où le Parti socialiste s'est mis d'accord avec le Parti vert pour se détourner de l'énergie nucléaire."  

L'ambition de construire 6, puis 8 nouvelles centrales nucléaires EPR pour la France a été fortement critiquée quand on sait que, bien que propriétaire de la technologie, le groupe national français d'électricité EDF a "vendu" la technologie. Le projet de Thai Son a démarré en 2009 et en 2018 les deux premières usines EPR au monde sont entrées en service et il s'agit d'une usine chinoise dont EDF n'est que partenaire (30 % du capital d'investissement).

EDF a continuellement signalé des retards dans des projets à Hinkley Point - Royaume-Uni, et en particulier à Flamanville, région Normandie dans le nord de la France. Heureusement pour EDF, le finlandais EPR Olkiluoto-3 a récemment commencé à produire de l'électricité pour le pays nordique, quoique avec un retard pouvant aller jusqu'à 12 ans par rapport à l'estimation initiale et au coût (12 milliards d'euros), plus du double, 3 fois plus que prévu.

Pendant ce temps à Flamanville, qui aurait dû être en service depuis 2012, le seul réacteur EPR de génération en France à ce jour n'est pas achevé, mais entrera heureusement en phase d'essai en 2023. Le coût de la centrale devrait atteindre près de 20 milliards d'euros au lieu de 3,7 comme convenu en 2006/2007 lorsque le projet venait de démarrer.

Dans ce contexte, sur la radio vietnamienne RFI en février 2022, le professeur Benjamin Coriat, qui a enseigné à Paris Sorbonne 13 et est également membre Les Economistes Atterrés - comprend des experts, des intellectuels A gauche, considérons l'annonce par le président Macron d'un programme pour construire 14 réacteurs utilisant une nouvelle technologie d'ici 2050 comme une décision risquée.

Elie Cohen, spécialiste des recherches sur la France et les filières industrielles françaises, pose le problème dans une perspective plus large. Selon lui, tout d'abord, les difficultés de la filière nucléaire civile française proviennent d'erreurs dans l'élaboration de la politique électronucléaire : 2012 est une étape importante comme il vient de l'expliquer. C'était aussi une époque où le monde était encore choqué et incapable de mesurer l'impact après l'accident nucléaire de Fukushima, au Japon, en 3/2011. Il marque également le 25e anniversaire de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine.

Mais outre la myopie de la société nationale d'électricité en matière de technologie et de programmes d'investissement dans le domaine du nucléaire, il est tout aussi condamnable qu'au cours de la dernière décennie, la France ait tardé à développer divers types d'énergies nouvelles pour remplacer l'énergie nucléaire. Dans le même temps, c'est Emmanuel Macron, au poste de sous-ministre du cabinet du président français François Hollande, chargé des finances et de l'économie, puis en tant que ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, qui a décidé de fermer la centrale nucléaire de Fessenheim, région Alsace, nord-est de la France. Puis en février 2022, le président Macron évitait, n'évoquait plus le programme de fermeture de 14 réacteurs d'ici 2035. Le professeur Elie Cohen évoquait une politique énergétique confuse de la France :

"L'État exhorte à promouvoir les énergies renouvelables à 50-50, ce qui signifie que les énergies propres assureront jusqu'à 50 % de la demande d'électricité du pays. Mais les mots ne vont pas de pair avec les actes. Au cours des 10 dernières années, les énergies renouvelables n'ont pas décollé pour combler le vide laissé par l'énergie atomique. Dans le même temps, les centrales nucléaires et les réacteurs français doivent être restaurés. Les nouvelles installations ne sont pas encore terminées. La France doit investir dans une nouvelle génération d'infrastructures. À ces deux égards, il y a eu des retards. Il y a une inadéquation entre la volonté politique et la réalité."


Facteurs géopolitiques

Dans cette situation, le fait que la Pologne ait annoncé le 28 octobre 2022 choisir le groupe électrique américain Westinghouse, au lieu du français EDF pour mener à bien le projet de construction de la première centrale nucléaire de ce pays d'Europe de l'Est, est une chose compréhensible.

Cependant, au-delà des facteurs purement techniques et financiers, tout projet de construction d'une centrale nucléaire est lié à la sécurité et à la géopolitique. Le ministre des Affaires étrangères Antony Blinken a déclaré que les États-Unis étaient "fiers d'être le partenaire solide de la Pologne dans les domaines de l'énergie et de la sécurité". La secrétaire américaine à l'Energie, Jennifer Granholm, a parlé d'un "très long pas en avant dans le renforcement des relations bilatérales pour les générations futures". Elle n'a pas oublié de souligner que "c'est aussi un message clair à la Russie (...) L'Otan s'unit pour diversifier les sources d'énergie et résister à la politique de Moscou d'utiliser l'énergie comme une arme". Selon diverses sources, le contrat avec la Pologne vaut au moins 40 milliards de dollars.

L'année dernière, l'administration Biden a facilement persuadé la Pologne d'acheter des avions de chasse américains F-35, maintenant Washington vend des centrales nucléaires à Varsovie est un résultat connu, en particulier lorsque des véhicules blindés, des missiles russes et des talons de soldats russes résonnent sur le territoire de L'Ukraine, à côté de la Pologne.












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